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De nombreux agents infectieux sont transmis par l'intermédiaire d'un vecteur, insecte ou acarien. Leur rencontre avec l'hôte est de ce fait facilitée, tout en présentant l'avantage de limiter le "gâchis" de microorganismes dispersés inutilement dans la nature. L'agent infectieux, ses hôtes vertébrés, son ou ses vecteurs, constituent ce que l'on appelle un système vectoriel. La réussite de ce système complexe dépend étroitement des conditions bio-climatiques rencontrées dans son écosystème.
La contamination du vecteur se produit généralement à l'occasion d'un repas de sang sur un hôte réservoir (si l'on excepte la transmission verticale). L'agent infectieux se développe alors plus ou moins rapidement, dans des sites précis de l'organisme de l'arthropode, durant une période appelée "incubation extrinsèque". Le vecteur ne sera capable de transmettre l'agent pathogène à son hôte vertébré qu'après cette période.
Pour que ce cycle puisse s'accomplir, il est encore nécessaire
que le vecteur vive suffisamment longtemps et qu'il puisse transmettre l'agent pathogène à un hôte réceptif. C'est à ce niveau que les conditions rencontrées dans un écosystème donné revêtent la plus grande importance. Le vecteur doit pouvoir y être abondant et vivre en contact étroit avec une densité suffisante d'hôtes réservoirs et de vertébrés réceptifs. De plus, les conditions climatiques doivent être favorables, comme le montrent bien les variations d'activité vectorielle selon les années.




Un écosystème est un ensemble écologique constitué d’un milieu géophysique abiotique, et d’une biocénose. La biocénose représente l’ensemble des êtres vivants qui peuplent ce milieu, ainsi que leurs interactions.

Phytocénose

Durant leur développement et leur quête, les tiques ont besoin d’une hygrométrie supérieure ou égale à 80 %. Une telle hygrométrie suppose que les tiques vivent dans des zones possédant une bonne couverture végétale et un épais tapis de feuilles mortes. Ce sont donc les forêts caducifoliées hétérogènes et les écotones hébergeant des petits et des grands mammifères en quantité suffisante qui répondent le mieux aux conditions requises à la prolifération des tiques. Cependant B. Doche indique que le caractère de bio-indicateur de la végétation peut varier d’une région à l’autre, et la présence d’Ixodes en forêt de conifères reste possible, dans la mesure où il persiste une quantité suffisante de feuilles mortes au sol pour maintenir l’hygrométrie nécessaire [9]. Les jardins bien entretenus, tondus et débarrassés régulièrement de leurs feuilles mortes ne constituent pas un habitat très favorable pour les tiques et les micromammifères.

La zoocénose [10]

L’habitat des Ixodes doit contenir une concentration et une variété suffisantes d’hôtes vertébrés pour pouvoir les nourrir à leurs différentes stases, qu’il s’agisse des larves, des nymphes, ou des femelles adultes. Les formes immatures se nourrissent surtout sur les petits vertébrés à sang chaud, de préférence des rongeurs, alors que les adultes se gorgent sur les grands mammifères.

Cycle Ixodes ricinus

  • Les petits mammifères comprennent les rongeurs myomorphes (souris, campagnols, mulots...), les insectivores (musaraigne, hérisson...) et les lagomorphes. Ces animaux dans leur ensemble, représentent les hôtes préférentiels des formes immatures d’Ixodes. Les rongeurs sont, nous le verrons plus loin, le réservoir de nombreux agents pathogènes. La plupart des infections qu’ils transmettent à leurs ectoparasites sont durables, car les agents pathogènes ont acquis une transmission trans-stadiale.
  • Les carnivores (chien, chat, renard...) développent rapidement des anticorps contre les agents pathogènes, notamment la borréliose de Lyme, leur taux de transmission des infections aux larves est donc très bas.
  • Les ongulés (cervidés et suidés) sont aussi rapidement porteurs d’anticorps, a priori, ils n’infectent que peu de tiques sur le court terme, mais jouent un très grand rôle en tant qu’hôte de reproduction, en nourrissant les femelles adultes, autorisant ainsi la prolifération des tiques. La reconnaissance du phénomène de co-repas devrait cependant faire réévaluer l'importance ce rôle.

  • Les oiseaux contribuent aux cycles endozootiques terrestres, en tant qu'hôtes réservoirs de germes. Oiseau infesté de tiquesIls sont très fréquemment aussi transporteurs de tiques sur de grandes distances. Plusieurs enquêtes ont montré qu'environ un tiers des oiseaux migrateurs se révèle porteur de tiques lors de la migration vers le sud. Ils disséminent ces tiques tout au long de leurs couloirs migratoires. Douze pour cent d'entre elles sont porteuses de B.burgdorferi, 1 % d’ Anaplasma phagocytophilum ou du TBEV.


    Routes migratoires_Artic


  • Pathocénose et cycles enzootiques

    L'épidémiologie des maladies vectorielles à tiques est particulièrement complexe. Selon les régions, d'autres vecteurs possédant les mêmes hôtes, sont impliqués dans la transmission des mêmes agents pathogènes.
    Ixodes uriaeDans le cas de la borréliose de Lyme, il s'agit essentiellement d'espèces de tiques appartenant au complexe d' I. ricinus : Ixodes hexagonus, ou I.uriae. Cependant d'autres espèces se montrent susceptibles d'entretenir des cycles. Des tiques comme I. trianguliceps, I. canisuga, I. acuminatus, I. frontalis, Dermacentor reticulatus, Haemaphysalis punctata et H. concinna. Des insectes diptères pourraient aussi agir en tant que vecteurs secondaires (Tabanidés, Culicidés, B. afzelii a été isolée chez Aedes vexans).
    Le cycle épidémiologique de la fièvre boutonneuse se montre tout aussi complexe, autorisant des contaminations humaines tant dans le cycle domestique, que dans le cycle sauvage.
    L'existence de cycles épidémiologiques complexes est probablement la règle pour de nombreuses autres maladies vectorielles à tiques.

     

     

    Schématiquement, on peut dire que les modifications de l’écosystème tiennent à trois grands types de facteurs: anthropiques, naturels et socio-économiques [200].

    Facteurs anthropiques


    Bastien Lepage Les fouinsL’agriculture

    L’agriculture moderne n’est a priori guère favorable à l’épanouissement des petits mammifères et des tiques, les remembrements ont provoqué des défrichages massifs qui ont détruit une part de leur habitat. En contrepartie, les cultures céréalières et les troupeaux, qui ont doublé en 50 ans, fournissent maintenant une nourriture abondante, tout à fait propice au développement des petits rongeurs et donc des tiques. Cependant les jachères reviennent en force.



    La sylviculture

    La France métropolitaine compte 15 millions d’hectares de forêt, soit un peu plus du quart de sa superficie. Elle continue même à se reboiser depuis la loi anti-érosion de 1882 (400.000 hectares) et les travaux de reboisement des « zones rouges » (lieux des combats de la Première Guerre mondiale). Autour de Verdun quelques dizaines de milliers d’hectares ont été ajoutés au domaine.
    Jusqu’aux années 60, les communes rurales se contentaient de l’exploitation tournante de coupes de bois dans des taillis sous futaies, tous les 25 à 30 ans. Il n’existait pas d’ouvertures importantes dans les forêts, la luminosité était médiocre dans les sous-bois, et la régénération était spontanée. Ce type d’exploitation ne répondant plus aux besoins, l’Office National des Forêts (ONF) procède au rajeunissement des peuplements. Des surfaces importantes de forêt sont entièrement coupées afin de la régénérer, soit de manière naturelle, soit par plantation. Depuis 25 ans, le quart des forêts communales a ainsi été remanié. L’augmentation des surfaces de semis est un facteur très favorable au développement des animaux et des tiques; les auteurs américains la citent comme étant associée à la prolifération des cervidés, des tiques et des maladies qui leur sont liées.

    Brill La chasse au cerfDans les forêts domaniales, l’ONF en liaison avec l’Office National de la Chasse (ONC) et les fédérations de chasseurs, élabore une politique de la chasse, et entretient délibérément des taillis sous futaie et des parcelles de régénération pour satisfaire les besoins alimentaires des animaux [11]. Les revenus annuels des locations des forêts domaniales s’élèvent environ à 30 millions d'euros, pour un nombre régulièrement croissant de grands animaux abattus.



    La chasse

    Avec la disparition des grands prédateurs, la gestion des grands mammifères est devenue exclusivement humaine. Les Fédérations Départementales de Chasseurs et l’ONC, par le biais de plans de tir et le contrôle des prédateurs, ont favorisé un accroissement exponentiel de la population du gros gibier dans toute le pays. En Meuse, de 1980 à 1998, les prélèvements de gibier ont quadruplé pour les chevreuils et plus que décuplé pour les sangliers. La prolifération des ongulés représente le facteur essentiel de la prolifération des tiques; de plus, la limitation des prédateurs a parallèlement favorisé un accroissement des populations de petits mammifères sur lesquels elles se nourrissent à leurs stases pré-imaginales.

     


    Évolution annuelle des prélèvements en chevreuils (à gauche) et sangliers (à droite).
    (Données de l'Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage de 1970 à 2000, voir Gestion de la faune sauvage)

     

    Aménagement du territoire

    Les phénomènes saisonniers de migration des animaux participent à la dissémination des maladies. Les oiseaux surtout, parsèment les couloirs migratoires de parasites et de leurs agents infectieux. Ces dernières décennies ont vu la création de parcs naturels régionaux, de réserves ornithologiques et de grandes retenues d'eau servant à alimenter les canaux, à alimenter les villes en eau potable, à réguler les crues ou à refroidir les centrales électriques.Les grandes retenues d'eau ne gèlent pratiquement plus, provoquant un microclimat autour d'elles, sur une frange de quelques kilomètres. Situées sur les grandes voies migratoires, elles reçoivent de très grandes quantités d'oiseaux de passage et nombreux sont ceux qui maintenant trouvent des conditions favorables pour hiverner.

    Ecosystème lorrain

     

    Facteurs naturels

    L’action mécanique du vent est un facteur jouant un rôle très important dans les modifications de l’écosystème, elle influe sur la présence de la pluie ou du brouillard, mais aussi sur la dissémination des insectes ailés et les spores de champignons. Il a aussi été démontré que le vent transporte Coxiella burnetii sur des kilomètres. (voir au chapitre fièvre Q).

    Forêt domaniale Souilly hiverLes grandes tempêtes du 3 février 1990 et du 26 décembre 1999, ont dévasté une partie importante de la surface boisée de notre région. Celle de 1999 a fauché environ 110 millions de mètres cubes de bois en France, dont 26 pour la seule Lorraine. Par endroits le volume de bois abattu équivaut à 8 ou 10 années d’exploitation. Les dégâts occasionnés sont tels que les zones sinistrées doivent être régénérées, en plus du programme de rajeunissement déjà établi.

    Les systèmes vectoriels sont sensibles au climat et à ses variations. Les modifications climatiques peuvent influer sur les 3 composants du système vectoriel :
    sur l'agent infectieux lui-même, en sélectionnant des populations mieux adaptées aux conditions environnementales. Voire en modifiant leur virulence.

    sur les vertébrés réservoirs et hôtes, en modifiant leur abondance, leur répartition géographique ou leur éthologie.

    sur les vecteurs, en modifiant leur abondance, leur répartition géographique et la durée de leur cycle de développement. La durée de l'incubation extrinsèque et la transmission pourraient en être modifiées.

    Un réchauffement global du climat favoriserait l'accroissement de la population de rongeurs, donc la pullulation des tiques [12]. Il élargirait la période d'activité des tiques et modifierait leur comportement selon l'hygromètrie. Dans les zones où le degré de synchronisation est le plus élevé entre les larves et les nymphes, des phénomènes de co-repas (cofeeding) sont décrits, avec le TBEV et Borrelia burgdorferi.
    Le réchauffement conduit déjà à un redéploiement géographique des espèces de tiques vers le nord et en altitude. On le constate avec la collecte d'I. ricinus à des altitudes pouvant atteindre 1500 m par endroits [336] ; avec la montée de Rh. sanguineus au delà de la Loire, ou avec l'extension des zones d’enzootie de babésiose canine à Babesia canis, 150 km au delà de la précédente estimation de la limite de répartition [301].

    GlandsL'exposition aux maladies vectorielles à tiques est proportionnelle à l'abondance des nymphes. L'abondance des nymphes dépend quant à elle, de l'importance des populations de rongeurs, qui elle-même est étroitement dépendante de l'abondance de la nourriture. R. Ostfeld et al. sont parvenus à démontrer expérimentalement que la production de glands contituait un facteur prédictif important de la survenue de maladies vectorielles à tiques deux ans plus tard. La première année les rongeurs prolifèrent, puis l'année suivante ce sont les nymphes [233]. En réduisant la production de glands, la prolifération de parasites du chêne devient également un facteur limitant la survenue du risque [234]. En Amérique du Nord, le meilleur réservoir de la maladie est constitué par la souris à pattes blanches (Peromyscus leucopus), qui prolifère en de nombreux endroits. Le même auteur suggère que la biodiversité limiterait le risque, par effet de dilution. Les tiques devraient en effet se gorger sur d'autres hôtes dont les capacités de réservoir sont moins performantes, faisant de facto baisser la prévalence de l'infection chez les tiques [235, 309].

     

    Facteurs sociologiques et culturels

    Les transformations de notre mode de vie favorisent le temps libre et les loisirs. Nombreux sont les citadins qui retournent à la nature ou partent habiter à la campagne. Souvent, il s'agit de personnes peu ou mal informées qui se rendent en forêt pour des raisons diverses telles que se promener, faire de la course d’orientation, herboriser, ramasser des champignons ou camper. Fréquemment leurs vêtements ne sont pas adaptés à leur activité, la mode actuelle réduit d'ailleurs beaucoup l'effet protecteur des vêtements contre les morsures et les piqûres d'arthropodes hématophages. De plus, l’accès à la forêt est maintenant facilité par une politique d’ouverture au public précisée par la circulaire de l’ONF du 26 février 1979.

    Prouvé La joie de vivre

    Avec l'automobile, l'habitat s'est disséminé, les villes qui s'agrandissaient naguère de proche en proche, s'étendent maintenant de façon excentrique dans les vallées en excluant les pentes trop fortes. Ce qui conduit à la création d'espaces péri-urbain ou s'imbriquent zones urbaines et rurales. Petit à petit, les enclaves de terres vouées à l'abandon ont été recolonisées par la faune et la végétation. Dermacentor reticulatus s'est parfaitement adapté à ce nouvel habitat et aux landes suburbaines, on le retrouve systématiquement dès que les surfaces dépassent un hectare [201, 202].


    Les animaux sauvages ne sont pas absents des villes. Les oiseaux sont plus nombreux et plus visibles que les mammifères aux mœurs plus nocturnes. Si le moineau était déjà décrit comme un fléau en ville au XVIIIe siècle, le merle et le pigeon n'y sont apparus que depuis un siècle, suivis par la grive musicienne, puis par la tourterelle turque dans les années 1960. Une cinquantaine d'espèces d'oiseaux s'est totalement adaptée à l'environnement urbain, principalement des passereaux, sédentaires, migrateurs ou sédentarisés. Les mammifères vivent davantage en périphérie des villes, ils sont présents dans les bois et les parcs. Les petits rongeurs (souris, surmulot, rat, campagnol roussâtre), écureuils, lapins, hérissons, les petits carnivores mustélidés et les chauves-souris se sont parfaitement accomodés à ce nouveau mode de vie. Le renard commence aussi à apparaître.
    Différents animaux sont donc susceptibles d'importer des tiques en ville, et d'y entretenir leur cycle de vie. Cette hypothèse est confortée par un certain nombre d'observations, même en France ; des cas de piroplasmose canine y sont notamment observés, touchant des animaux vivant exclusivement en ville ( D. reticulatus); des morsures de tiques sont constatées chez des personnes fréquentant les jardins publics ( I. ricinus). Ixodes hexagonus et I. trianguliceps sont collectés sur les petits mammifères. Enfin, des morsures d'Argasidés occasionnent régulièrement des réactions anaphylactiques parmi les habitants des étages supérieurs de l'habitat ancien (Ixodes uriæ et Ornithodoros maritimus).

    La France est un des pays où les animaux de compagnie sont les plus nombreux. Les chiens notamment, représentent un risque épidémiologique important car ils attrapent très facilement des dizaines, voire des centaines de tiques à l’occasion de leurs sorties en nature.

    Depuis 1974, l'augmentation du coût de l'énergie a provoqué le doublement des affouagistes, un foyer sur deux en France utilise du bois de chauffage, au moins occasionnellement. La paupérisation amène aussi à la forêt, des chômeurs et des RMIstes, souvent fragilisés par des conditions de vie précaires, attirés par l’argent que pourra leur apporter la cueillette des champignons. On les rencontre du printemps jusqu’à l’automne, précisément pendant la période d’activité des tiques.

     

    La transmission d’une maladie vectorielle met en jeu un vecteur, un agent pathogène et souvent plusieurs hôtes vertébrés. Pour être efficace, elle suppose donc la réalisation de nombreuses conditions :

    1. la présence de l’agent pathogène chez un hôte vertébré,
    2. un arthropode hématophage ayant un contact étroit avec ce vertébré,
    3. une adaptation de l’agent pathogène à l’arthropode, lui permettant de s’y développer et d’être retransmis à un autre hôte vertébré.

    La création de tels systèmes suppose une très longue co-évolution de l’ensemble des intervenants et des facultés très importantes d’adaptation du vecteur vers l’hôte, et de l’agent pathogène avec le vecteur.


    Dernière mise à jour : le 16 02 2006
    Remerciements à Cl. Pérez-Eid

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